Caspar Netscher (1639 – 1684)
Les Chercheuses de poux (1871).
Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisée
Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Bien que brève, la densité de son œuvre poétique fait d'Arthur Rimbaud une des figures premières de la littérature française.
Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à 15 ans. Selon lui, le poète doit être «voyant» et « il faut être absolument moderne ». Il entretient une aventure amoureuse tumultueuse avec le poète Paul Verlaine. À l'âge de vingt ans, il renonce subitement à l’écriture.
Ses idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires le poussent à choisir une vie aventureuse, dont les pérégrinations l’amènent jusqu’en Abyssinie, où il devient négociant quand ce n'est pas explorateur.
Des vers comme ceux du Bateau ivre, du Dormeur du val ou de Voyelles comptent parmi les plus célèbres de la poésie française. La précocité de son génie et sa vie aventureuse contribuent à forger la légende du poète.
JE T'AI ÉCRIT AU CLAIR DE LUNE.
Je t'ai écrit au clair de lune Sur la petite table ovale, D'une écriture toute pâle, Mots tremblés, à peine irisés Et qui dessinent des baisers. Car je veux pour toi des baisers Muets comme l'ombre et légers Et qu'il y ait le clair de lune Et le bruit des branches penchées Sur cette page détachée.
Cécile Sauvage (1883-1927)
Cécile Sauvage, « poétesse de la maternité » née à La Roche-sur-Yon (1883-1927), est un écrivain français, épouse de Pierre Messiaen et mère d’Alain et d’Olivier Messiaen qu’elle éleva, selon ce dernier, dans un « univers féerique ». La poésie de Cécile Sauvage est vouée au bonheur, aux joies de la maternité et à la simplicité de la nature. C’est une poésie incarnée, touchante par sa simplicité et sa nudité, qui dit l’essentiel.
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L'impôt du pauvre.
Le percepteur trouve qu'on tarde ;
Il veut être payé ce soir.
— J'ai quelques sous, mais je les garde
Pour vous acheter du pain noir.
Si je n'en porte à votre mère,
Enfants, la soupe manquera !...
— Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
Le travail, toute la semaine,
Charge mes membres harassés ;
Eh bien ! Que m'importe la peine,
Lorsque pour vous je gagne assez !
Le soir, en me couchant, j'espère
Qu'un meilleur jour demain luira...
— Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— La faim !... par les miens endurée !...
— A l'Etat il faut de l'argent,
Et c'est pour nourrir sa livrée
Que le lise se montre exigeant.
Le budget qu'on nous délibère
A plus d'un milliard montera.
Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— Quoi ! Pas de pain pour ma famille !
— Le trône a besoin de splendeur.
On veut que tout courtisan brille ;
Au pays cela fait honneur.
Tout l'hiver, chaque ministère
Par ordre de jours recevra.
Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— Pour engraisser leur politique
Faudra-t-il vendre nos haillons !
— A nos vieux amis d'Amérique
On a pavé vingt-cinq millions.
Le czar présente avec colère
Un vieux compte... on le réglera.
Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— Ma bourse et mon buffet sont vides...
— Paris de merveilles s'emplit,
On bâtit des palais splendides,
Versailles même s'embellit.
Tribut d'une terre étrangère,
L'obélisque se dressera.
Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— Avoir faim ! Ô pensée affreuse !
— On a faim dans tous les pays.
Des pauvres la race est nombreuse ;
Ils en ont cent mille à Paris.
Gras de luxe et de bonne chère,
Jack au fond d'an palais vivra.
Va paver l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— Chers enfants ! Souffrir à votre âge !
— L'argent du fisc est bien placé.
Il fallait un pont au village,
C'est un chemin qu'on a tracé.
Le préfet possède une terre,
Tout près la route passera.
Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— Payer, quand chez moi la disette...
— C'est là notre rôle éternel ;
Nous payons pour notre piquette,
Pour notre hutte et notre sel.
Ces taxes, incurable ulcère,
Le riche seul les votera...
Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
— Enfants, le besoin vous dévore ;
Je dois garder mes derniers sous !
— Qui dort dîne... Il nous reste encore
Un seul lit pour nous coucher tous.
Paie... ou ce grabat de misère
Le recors* demain le vendra.
Va payer l'impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
Agénor Altaroche (1811-1884).
Recueil : Nouvelles chansons politiques (1838).
* recors: assistant d'un huissier.
Agénor Altaroche.
Marie Durand Michel Agénor Altaroche est né le 18 avril 1811 à Issoire (Puy-de-Dôme), mort le 13 mai 1884 à Vaux, commune de Méry-sur-Oise (Val-d'Oise). Il fut un journaliste, chansonnier et homme de lettres français, commissaire du Gouvernement provisoire pour le Puy-de-Dôme en 1848, représentant de ce même département à l’Assemblée constituante de 1848.
Cinq poèmes à écouter: Jeune à New Orléans, Il y a un rossignol, Trop, Vie de merde, La fille dehors au n°1 de Strawberry Patch.
JEUNE à NEW ORLEANS.
Crever de faim là-bas, faire la tournée des bars, et à la nuit tombée marcher dans les rues pendant des heures la lumière de la lune me semblait toujours artificielle et peut-être qu’elle l’était et dans le quartier français je regardais les chevaux et les buggys qui passaient, plus sur l auteur? tous étaient assis en hauteur dans les carrioles ouvertes le conducteur noir, et, à l’arrière l’homme et la femme, jeunes en général et toujours blancs Et j’étais toujours blanc et difficilement séduit par le monde La Nouvelle Orléans c’était pour se cacher je pouvais foutre ma vie en l’air on me foutait la paix A part les rats les rats dans ma petite chambre sombre qu’ils n’appréciaient pas du tout de devoir partager avec moi Ils étaient gros et n’avaient peur de rien et ils me fixaient avec des yeux qui me vouaient une mort implacable une des plus belles lignes de Lorca : ‘’l’agonie, l’agonie toujours’’ pense à cela quand tu tues un cafard ou que tu prends un rasoir pour te raser ou le matin quand tu t’éveilles pour faire face au soleil L’hiver sur mon plafond mes yeux gros comme des réverbères. J’ai quatre pattes comme une souris mais je lave mes propres sous-vêtements à barbe j’ai la gaule, la gueule de bois et pas d’avocat. J’ai la tête en gant de toilette. Je chante des chansons d’amour et je soulève de l’acier. Je préfèrerais mourir que de pleurer. Je ne peux pas blairer les cabots je ne peux pas vivre sans eux. Je colle ma tête au réfrigérateur blanc et j’ai envie de pousser un cri comme on pleure les dernières larmes de sa vie, à jamais mais je suis plus grand que les montagnes.
Charles Bukowski (1920-1994)
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Charles Bukowski né le 16 août 1920 à Andernach en Allemagne et mort le 9 mars 1994 à Los Angeles aux États-Unis, est un écrivain américain d'origine allemande, auteur de romans, de nouvelles et de poésies. Il est connu sous ses pseudonymes divers : Hank, Buk, Henry Chinaski, ce dernier étant celui de son alter ego dans ses nombreux romans autobiographiques. Il est l'auteur, en prose comme en vers, d'une œuvre poétique considérable. Il a écrit six romans, des centaines de contes et des milliers de poésies, pour un total de plus de soixante livres. Le contenu de ces derniers est sa vie, caractérisée par une relation morbide avec l'alcool, par de fréquentes expériences sexuelles (décrite de manière réaliste et sans trop de d’euphémismes) et des relations tumultueuses avec les gens.
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Józef Pankiewicz* (1866-1940) Warsaw by Night.
La nuit.
Le contour des objets tremble. Le jour recule.
Les horizons sont plus prochains au crépuscule,
Et la colline semble un navire qui va…
Voici l’heure féerique où tout ce qu’on rêva
D’étrange reparaît tout à coup dans les choses :
L’arbre noueux se tord en de bizarres poses ;
Un frisson court. Les bruits ressemblent à des voix ;
L’horreur sacrée emplit les plaines & les bois ;
Les vagues déités sortent de la matière ;
On voit passer l’esprit dans la vague & la pierre ;
La nuit cyclopéenne, oh ! terrible moment !
Pâle, rouvre son œil au fond du firmament.
Alors, si par hasard une chanson s’élève,
Flexible, longue, douce & forte, sur la grève,
Chanson de paysan qui retourne au foyer,
Le flot n’est plus qu’un chien que l’on laisse aboyer,
Le vent n’est qu’un oiseau nocturne aux cris funèbres,
Et l’on sent l’homme encor plus grand que les ténèbres !
Jean Aicard (1848-1921)
Jean François Victor Aicard, né le 4 février 1848 à Toulon (Var) et mort le 13 mai 1921 à Paris, est un poète, romancier et auteur dramatique français.
Si l'on en croit Léon Daudet, Aicard possédait un tel talent pour réciter des vers qu'il transformait alors chaque poésie, même médiocre, en un chef-d'œuvre fugitif. Rimbaud n'avait pas dû être sensible à son charme, car on connaît l'épisode où il ponctuait du mot de Cambronne chaque vers d'un poème que récitait Jean Aicard. C'est cependant à ce poète qu'il a dédié Les Effarés.
* Józef Pankiewicz (Lublin, 29 novembre 1866 - La Ciotat, 4 juillet 1940) était un peintre et enseignant polonais. Il a travaillé à Saint-Pétersbourg après sa formation initiale. De là, il part en 1899 pour Paris, où il se lie d'amitié avec Pierre Bonnard, dont il reconnaît l'influence sur sa propre peinture. Père d'un courant coloriste polonais dérivé du postimpressionnisme, il se rapproche du fauvisme à l'occasion d'un voyage en Espagne.
Aquarelle.
Des roses plein la joue,
Une petite moue
Aux lèvres qui se joue
Appelant le plaisir,
La chevelure floue
Où l’or ambré se noue,
Un regard qui vous cloue
Aux ailes du désir.
C’est là, ma toute belle,
Ton image fidèle
Peinte fidèlement ;
C’est ton portrait charmant
Qu’a fait à l’aquarelle
La main de ton amant.
Claudius Popelin (1825-1892)
Claudius Popelin, né le 2 novembre 1825 à Paris 2e, et mort le 17 mai 1892 à Paris 8ᵉ, est un peintre, émailleur et poète français.
Le premier regret.
Sur la plage sonore où la mer de Sorrente
Déroule ses flots bleus aux pieds de l'oranger
Il est, près du sentier, sous la haie odorante,
Une pierre petite, étroite, indifférente
Aux pas distraits de l'étranger !
La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes.
Un nom que nul écho n'a jamais répété !
Quelquefois seulement le passant arrêté,
Lisant l'âge et la date en écartant les herbes,
Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir,
Dit : Elle avait seize ans ! c'est bien tôt pour mourir !
Dit : Elle avait seize ans ! - Oui, seize ans ! et cet âge
N'avait jamais brillé sur un front plus charmant !
Et jamais tout l'éclat de ce brûlant rivage
Ne s'était réfléchi dans un œil plus aimant !
Moi seul, je la revois, telle que la pensée
Dans l'âme où rien ne meurt, vivante l'a laissée ;
Vivante ! comme à l'heure où les yeux sur les miens,
Prolongeant sur la mer nos premiers entretiens,
Ses cheveux noirs livrés au vent qui les dénoue,
Et l'ombre de la voile errante sur sa joue,
Elle écoutait le chant du nocturne pêcheur,
De la brise embaumée aspirait la fraîcheur,
Me montrait dans le ciel la lune épanouie
Comme une fleur des nuits dont l'aube est réjouie,
Et l'écume argentée ; et me disait : Pourquoi
Tout brille-t-il ainsi dans les airs et dans moi ?
Jamais ces champs d'azur semés de tant de flammes,
Jamais ces sables d'or où vont mourir les lames,
Ces monts dont les sommets tremblent au fond des cieux,
Ces golfes couronnés de bois silencieux,
Ces lueurs sur la côte, et ces champs sur les vagues,
N'avaient ému mes sens de voluptés si vagues !
Pourquoi comme ce soir n'ai-je jamais rêvé ?
Un astre dans mon cœur s'est-il aussi levé ?
Et toi, fils du matin ! dis, à ces nuits si belles
Les nuits de ton pays, sans moi, ressemblaient-elles ?
Puis regardant sa mère assise auprès de nous
Posait pour s'endormir son front sur ses genoux.
Que son œil était pur, et sa lèvre candide !
Que son ciel inondait son âme de clarté !
Le beau lac de Némi qu'aucun souffle ne ride
A moins de transparence et de limpidité !
Dans cette âme, avant elle, on voyait ses pensées,
Ses paupières, jamais sur ses beaux yeux baissées,
Ne voilaient son regard d'innocence rempli,
Nul souci sur son front n'avait laissé son pli ;
Tout folâtrait en elle; et ce jeune sourire,
Qui plus tard sur la bouche avec tristesse expire,
Sur sa lèvre entrouverte était toujours flottant,
Comme un pur arc-en-ciel sur un jour éclatant !
Nulle ombre ne voilait ce ravissant visage,
Ce rayon n'avait pas traversé de nuage !
Son pas insouciant, indécis, balancé,
Flottait comme un flot libre où le jour est bercé,
Ou courait pour courir; et sa voix argentine,
Echo limpide et pur de son âme enfantine,
Musique de cette âme où tout semblait chanter,
Egayait jusqu'à l'air qui l'entendait monter !
Mon image en son cœur se grava la première ;
Comme dans l'œil qui s'ouvre, au matin, la lumière ;
Elle ne regarda plus rien après ce jour ;
De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour !
Elle me confondait avec sa propre vie,
Voyait tout dans mon âme; et je faisais partie
De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux,
Du bonheur de la terre et de l'espoir des cieux,
Elle ne pensait plus au temps, à la distance,
L'heure seule absorbait toute son existence ;
Avant moi cette vie était sans souvenir,
Un soir de ces beaux jours était tout l'avenir !
Elle se confiait à la douce nature
Qui souriait sur nous ; à la prière pure
Qu'elle allait, le cœur plein de joie, et non de pleurs,
A l'autel qu'elle aimait répandre avec ses fleurs ;
Et sa main m'entraînait aux marches de son temple,
Et, comme un humble enfant, je suivais son exemple,
Et sa voix me disait tout bas : Prie avec moi !
Car je ne comprends pas le ciel même sans toi !
Voyez, dans son bassin, l'eau d'une source vive
S'arrondir comme un lac sous son étroite rive,
Bleue et claire, à l'abri du vent qui va courir
Et du rayon brûlant qui pourrait la tarir !
Un cygne blanc nageant sur la nappe limpide,
En y plongeant son cou qu'enveloppe la ride,
Orne sans le ternir le liquide miroir,
Et s'y berce au milieu des étoiles du soir ;
Mais si, prenant son vol vers des sources nouvelles,
Il bat le flot tremblant de ses humides ailes,
Le ciel s'efface au sein de l'onde qui brunit,
La plume à grands flocons y tombe, et la ternit,
Comme si le vautour, ennemi de sa race,
De sa mort sur les flots avait semé la trace ;
Et l'azur éclatant de ce lac enchanté
N'est plus qu'une onde obscure où le sable a monté !
Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette âme ;
Le rayon s'éteignit ; et sa mourante flamme
Remonta dans le ciel pour n'en plus revenir ;
Elle n'attendit pas un second avenir,
Elle ne languit pas de doute en espérance,
Et ne disputa pas sa vie à la souffrance ;
Elle but d'un seul trait le vase de douleur,
Dans sa première larme elle noya son cœur !
Et, semblable à l'oiseau, moins pur et moins beau qu'elle,
Qui le soir pour dormir met son cou sous son aile,
Elle s'enveloppa d'un muet désespoir,
Et s'endormit aussi; mais, hélas ! loin du soir !
Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile,
Et rien ne pleure plus sur son dernier asile ;
Et le rapide oubli, second linceul des morts,
A couvert le sentier qui menait vers ces bords ;
Nul ne visite plus cette pierre effacée,
Nul n'y songe et n'y prie !... excepté ma pensée,
Quand, remontant le flot de mes jours révolus,
Je demande à mon cœur tous ceux qui n'y sont plus !
Et que, les yeux flottants sur de chères empreintes,
Je pleure dans mon ciel tant d'étoiles éteintes !
Elle fut la première, et sa douce lueur
D'un jour pieux et tendre éclaire encor mon coeur !
Un arbuste épineux, à la pâle verdure,
Est le seul monument que lui fit la nature ;
Battu des vents de mer, du soleil calciné,
Comme un regret funèbre au cœur enraciné,
Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage ;
La poudre du chemin y blanchit son feuillage,
Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés
Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés ;
Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige
Y flotte un jour ou deux ; mais le vent qui l'assiège
L'effeuille avant qu'elle ait répandu son odeur,
Comme la vie, avant qu'elle ait charmé le cœur !
Un oiseau de tendresse et de mélancolie
S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie !
Oh ! dis, fleur que la vie a fait sitôt flétrir,
N'est-il pas une terre où tout doit refleurir ?...
Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)
Alphonse de Lamartine, de son nom complet Alphonse Marie Louis de Prat de Lamartine, né à Mâcon le 21 octobre 1790 et mort à Paris le 28 février 1869 est un poète, romancier, dramaturge français, ainsi qu'un homme politique qui participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France.
CHANTONS LE VIN.
Ô vin splendide et salutaire, Reine suave des boissons, Délicate fleur de la terre Fleuris toujours dans mes chansons.
Vin rieur qui rit dans les verres Avec tes bons yeux de velours Tu dérides les plus sévères Et tu dégourdis les plus lourds.
Ô vin plus frais que les grenades Et plus pimpant que le printemps Puissant réconfort des malades Et remède des biens portants ;
Frivole muse des poètes, Verve suprême des vieillards, Tu fais pépier dans leurs têtes De petits oiseaux babillards ;
Tu rends la femme moins farouche Vin de tendresse et de gaîté, Et tu mets au coin de sa bouche Une lueur de volupté.
Que de fois les soucis, les fièvres, Les chagrins, les penser mauvais Ont fui de moi comme des lièvres À l’instant que je te buvais.
N’est-ce pas toi, vin pitoyable Qui mets un rayon de soleil Dans le cerveau du pauvre diable Pour qui tout est nuit et sommeil.
Tu me plains et tu me consoles, Tu me persuades le bien, Tu me dis de bonnes paroles Tout bas comme un ange gardien.
Quand je te bois, vin admirable ! Tout me ravit, flatte mes yeux, Je trouve tout le monde aimable N’importe quoi délicieux.
Toutes choses me semblent claires, Vin véridique et triomphant ; Et tu dissipes mes colères Avec un sourire d’enfant.
La vie en moi se renouvelle La grâce entre par mon gosier ; Mon sang fait le beau, ma cervelle Devient souple comme l’osier.
Tous mes sens crient à ton passage, Je vibre du crâne au talon : Pour te savourer davantage Que n’ai-je un cou trois fois plus long.
Raoul Ponchon 1848-1937 ( La Muse gaillarde)
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Raoul Ponchon, poète du bien-manger et du bien-boire a écrit 150 000 vers soit l’équivalent d’1,25 Victor Hugo. Le gros de sa production réside en ses Gazettes rimées, genre aujourd'hui disparu qui consiste à rédiger les nouvelles en vers. Ponchon y excelle en drôlerie. Il évolue avec aisance le long de l’axe Quartier Latin – Montmartre, sur des territoires où se croisent Alphonse Allais, Jean Richepin, Apollinaire ou Verlaine qui l’admirent.
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