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Titre du blog : rimes
Auteur : rimes
Date de création : 14-01-2017
 
posté le 31-10-2017 à 08:23:54

Fafou.

Fafou

 

 Chimère, dromadaire, Kangourou?

 Non. Rien que cette ombre chinoise,

 Fafou, sur la fenêtre, à contre-jour, Fafou,

 Toute seule et pensive… Un fuchsia pavoise

 L’écran vert derrière elle, et j’entends, à deux pas,

 Des oiseaux qui l’ont vue et s’égosillent.

 

 Fafou se pose en gargouille. Un œil las

 Semble à peine s’ouvrir dans son profil où brille,

 Cependant, quelque chose, on ne sait quoi d’aigu…

Par là, se cache un nid d’oisillons nus

 Pour qui la mère tremble – Fafou songe.

 

 Un tout petit pétale rouge, qui s’allonge,

 Marque d’un trait sa gueule fine… Un bâillement.

 Puis un autre… Fafou dormait innocemment.

 Fafou dormait, vous dis-je! Elle s’étire,

 La queue en yatagan,

 Puis en cierge; le dos bombé, puis creux. Le pire,

 C’est qu’elle n’a pas l’air de voir, s’égosillant,

 La mère-oiseau dans l’if si proche…

 

Une patte en fusil, assise, la voilà

 Qui se brosse, candide, et sa robe a l’éclat

 D’un beau satin de vieille dame où se raccroche

 La lumière du soir.

 Une dame? Ou quelque vieux diable en habit noir?

 

 Fafou, je n’aime pas ces yeux d’un autre monde,

 Ces yeux de revenant… Tout à l’heure croissants,

 Maintenant lunes rondes,

 Pourquoi ces trous phosphorescents

 Dans cette face obscure? Sur la toile

 Qui se fonce, elle aussi – la toile du jardin

 Où les pendants des fuchsias sont des étoiles

 La robe d’un noir vif s’éteint…

 

Elle n’est plus qu’un badigeon d’encre ou de suie,

 Un pelage sinistre! Où l’as-tu pris

 Ce noir d’enseigne de chat noir lavé de pluie?

 

 Chat noir ou lion noir? Chauve-souris,

 Chouette, quoi? Je ne sais plus. Sur la fenêtre,

 Une tête où l’oreille plate disparaît…

Lézard, couleuvre ou tortue? Ah! Si près,

 L’oiseau même ne sait qui redouter, quel être

 Fantastique et changeant va ramper cette nuit

 Dans le jardin au noir mystère de caverne!

 

 Du noir, du noir… Un point luit,

 Deux points… deux vers luisants, vertes lanternes…

Fafou, je ne veux pas!

 D’où reviens-tu, démon, de quel sabbat,

 De quelle grotte de sorcière,

 Lorsque tes yeux me font cette peur, tout à coup?

 

 C’est l’heure des gouttières,

 De la jungle! Foulant, d’un piétinement doux,

 Une vendange imaginaire, sur la pierre,

 Quelle arme aiguises-tu? Je ne veux pas, Fafou!

 Viens sous la lampe! Un ruban rose au cou,

 Un beau ruban rose de jeune fille, rose pâle,

 Je te veux, comme en haut d’une carte postale,

 

 Une petite chatte noire, voilà tout…

 

                                                                 Sabine Sicaud.

 

 

 

 

 

Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 à Villeneuve-sur-Lot et morte le 12 juillet 1928 (à 15 ans) dans la même commune, est une poétesse française.

Dès l'âge de 6 ans Sabine griffonne des poèmes et parle aux arbres, aux plantes aux animaux qui l'entourent et dont elle paraît connaître l'âme.

Ses Poèmes d'enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu'elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, appelée aussi la gangrène des os, elle écrit Aux médecins qui viennent me voir :

Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé

D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing

Ou d'un de ces poisons de fakir, vert et or... »