Les Yeux gris.
Le charme de tes yeux sans couleur ni lumière
Me prend étrangement ; il se fait triste et tard,
Et, perdu sous le pli de ta pâle paupière,
Dans l’ombre de tes cils sommeille ton regard.
J’interroge longtemps tes stagnantes prunelles.
Elles ont le néant du soir et de l’hiver
Et des tombeaux : j’y vois les limbes éternelles,
L’infini lamentable et terne de la mer.
Rien ne survit en toi, pas même un rêve tendre.
Tout s’éteint dans tes yeux sans âme et sans reflet,
Comme dans un foyer de silence et de cendre…
Et l’heure est monotone ainsi qu’un chapelet.
Parmi l’accablement du morne paysage,
Un froid mépris me prend des vivants et des forts…
J’ai trouvé dans tes yeux la paix sinistre et sage
Et la mort qu’on respire à rêver près des morts.
Renée VIVIEN.
Renée Vivien, née Pauline Mary Tarn le 11 juin 1877 à Londres et morte le 18 novembre 1909 à Paris, surnommée « Sapho 1900 », est une poétesse britannique de langue française du courant parnassien de la Belle Époque.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9e_Vivien
Un de ses poèmes, traduit de l'américain:
L’IRIS SAUVAGE.
Au bout de ma douleur il y avait une porte. Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort, je m’en souviens. En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin. Puis plus rien. Le soleil pâle vacilla sur la surface sèche. C’est une chose terrible que de survivre comme conscience enterrée dans la terre sombre. Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être une âme et incapable de parler prenant brutalement fin, la terre raide pliant un peu. Et ce que je crus être des oiseaux sautillant dans les petits arbustes. Toi qui ne te souviens pas du passage depuis l’autre monde je te dis que je pouvais de nouveau parler : tout ce qui revient de l’oubli revient pour trouver une voix : du centre de ma vie surgit une grande fontaine, ombres bleu foncé sur eau marine azurée.
Louise Glück prix Nobel de Littérature 2020.
La poète américaine Louise Glück obtient le prix Nobel de Littérature 2020.
L'auteure de 77 ans est couronnée «pour sa voix poétique caractéristique, qui avec sa beauté austère rend l'existence individuelle universelle», a annoncé l'Académie suédoise en décernant le prix.
Une récompense surprise couronnant son œuvre entamée à la fin des années 60. «Elle recherche ce qui est universel. Ainsi elle puise son inspiration dans les mythes et les thèmes classiques, que l'on trouve dans la plupart de son œuvre», a écrit l'Institution.
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Giovanni Battista Tiepolo (1696-1770) –
Rinaldo et Armida dans le jardin enchanté d'Armida.
Sonnet romantique.
Autrefois elle était fière, la belle Ida,
De sa gorge de lune et de son teint de rose.
Ce gongoriste fou, le marquis de Monrose,
Surnommait ses cheveux les jardins d’Armida.
Mais le corbeau du temps de son bec la rida.
N’importe ! Elle sourit à son miroir morose,
Appelant sa pâleur de morte une chlorose,
Et son cœur est plus chaud qu’une olla-podrida.
Ô folle, c’est en vain que tu comptes tes piastres.
Tes yeux sont des lampions et ne sont plus des astres.
Tu n’achèteras pas même un baiser de gueux.
Pourtant si ton désir frénétique se cabre,
S’il te faut à tout prix un cavalier fougueux,
Tu pourras le trouver à la danse macabre.
Jean Richepin (1849-1926)
Né à Médéah (Algérie), le 4 février 1849.
Ce petit-fils de paysans dont le père était médecin militaire eut très tôt la vocation de la littérature. Entré à l’École normale supérieure en 1868, il obtint sa licence de lettres en 1870 et servit pendant la guerre dans un corps de francs-tireurs.
Dans les années qui suivirent, il collabora à plusieurs journaux et exerça plusieurs métiers des plus divers, professeur , matelot ou portefaix. Fréquentant le Quartier Latin, il se lia avec Jules Vallès. Sa vie marginale lui inspira son premier recueil de poésie, un ouvrage provocateur, La Chanson des gueux, publié en 1876. Il fit scandale à sa sortie car Jean Richepin, tel un Villon moderne, y dépeignait un peuple semblant tout droit sorti de la Cour des Miracles. La Chanson des gueux coûta à Richepin 500 francs d’amende et un mois de prison.
Écrivain prolifique, Jean Richepin produisit maints autres recueils de poèmes : Les Caresses, Les Blasphèmes, La Mer, Mes Paradis, Les Glas, des romans dans la veine populiste : Les Étapes d’un réfractaire, La Glu, Miarka, la fille à l’ours, Les Braves gens, Césarine, Les Grandes amoureuses et des pièces de théâtre dont les plus célèbres furent Nana Sahib et Le Chemineau.
Jean Richepin fut élu à l’Académie française le 5 mars 1908.
Mort le 12 décembre 1926.
Le vieux bandonéon.
Te souviens-tu ma belle, Du vieux bandonéon Et de ses ritournelles, Dans ce bar de fripons ?
La lumière était triste, Je buvais dans mon coin, Tu tanguais sur la piste, Je te lorgnais de loin.
Elle s’envolait, ta robe, Tu tournais en cadence, Sous la lueur du globe, Qui magnifiait ta dance.
Et tu frappais le sol, De tes talons pointus, Je te voyais frivole, Je t’imaginais nue.
Je cuvais le Mezcal, Du tripot mexicain. Toi, en femme vénale, Tu me tendis la main.
La chambre était petite, Juste au-dessus du bar, Tu voulais faire vite, Ta passe à vingt dollars.
Tu étais parfumée, De fragrances incertaines, Tu sentais la fumée. « Je m’appelle Germaine »
Me dis-tu en tâtant, Mes virils attributs, Qui étaient somnolents, Car j’avais beaucoup bu.
Dix minutes plus tard, Encore ramolli, En quittant ton « plumard », Je devins ton mari.
Je me souviens encore, Du vieux bandonéon, De ce qui fut ton corps, De ma folle passion.
Virgile.
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Mallarmé est né le 18 mars 1842 à Paris. À l’âge de dix ans, après la mort de sa mère, il est mis en pension dans un établissement religieux. Avant d’être professeur d’anglais (à Tournon, Besançon, Avignon puis Paris), Mallarmé a été employé de bureau.
Passionné par la poésie et par Edgar Poe, Mallarmé fréquente les milieux parnassiens et symbolistes et côtoie Valéry, Gide, Claudel…
Il a été l’inspirateur du mouvement symboliste (ce mouvement s’opposait au naturalisme (volonté de « peindre le réel ») et voulait, au moyen des symboles, atteindre une réalité supérieure au « monde réel », c’est-à-dire accéder à une vérité supérieure et abstraite cachée derrière la réalité concrète).
Il meurt à Valvins le 9 septembre 1898.
Chopin.
Fais, au blanc frisson de tes doigts, Gémir encore, ô ma maîtresse ! Cette marche dont la caresse Jadis extasia les rois.
Sous les lustres aux prismes froids, Donne à ce cœur sa morne ivresse, Aux soirs de funèbre paresse Coulés dans ton boudoir hongrois.
Que ton piano vibre et pleure, Et que j'oublie avec toi l'heure Dans un Eden, on ne sait où...
Oh ! fais un peu que je comprenne Cette âme aux sons noirs qui m'entraîne Et m'a rendu malade et fou !
Emile Nelligan (1879 - 1941)
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Émile Nelligan, né le 24 décembre 1879 à Montréal et mort le 18 novembre 1941 dans la même ville, est un poète canadien influencé par le mouvement symboliste ainsi que par les grands romantiques. Souffrant de schizophrénie, Nelligan est interné dans un asile psychiatrique peu avant l'âge de vingt ans et y reste jusqu'à sa mort. Son œuvre est donc à proprement parler une œuvre de jeunesse. Ses poèmes, d'abord parus dans des journaux et des ouvrages collectifs, sont publiés pour la première fois en recueil par son ami Louis Dantin sous le titre Émile Nelligan et son œuvre (1904).
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La chambre
On m'a prêté quatre vieux murs Pour y loger mes quatre membres Et dans ce réduit très obscur Je voulus installer ma chambre
Pour lui donner un air coquet Je suspendis aux murs en pente Les diplômes que j'ai manqués Et mes décorations absentes
Sur une table les photos De celles que se refusèrent Sur des rayons les in-quarto Des livres que je n'ai su faire
J'ai mis derrière les fagots Les grands crus de notre royaume Les Chambertin et les Margaux Dont j'ignore jusqu'à l'arôme
Et dans un vaste coffre-fort, Rangés en piles régulières Toutes les valeurs et tout l'or Que j'aurais pu gagner naguère
Par la fenêtre se glissant Voici qu'un doux rayon bleuâtre Est venu remplir mon théâtre D'un mobilier étourdissant
Voici des tapis d'ambition Voici des tentures de rêve Voici qu'un rideau se soulève Sur un chevalet d'illusions
Voici des coussins de serments Couvrant des fauteuils de promesses Et puis des colliers de tendresse Et des bouquets de sentiments
Voici le mirage de l'Art, Voici des songes en rasades Le divan de Schéhérazade Et le clavecin de Mozart
La chimère en quatre secondes Décorateur sur champ d'azur A fait de mes quatre vieux murs La plus belle chambre du monde.
La, la, la, la, la, la, la
Léo Ferré. (1916-1993)
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Bartolomé Bermejo* (1440-1498)
La Tristesse du Diable.
Silencieux, les poings aux dents, le dos ployé,
Enveloppé du noir manteau de ses deux ailes,
Sur un pic hérissé de neiges éternelles,
Une nuit, s’arrêta l’antique Foudroyé.
La terre prolongeait en bas, immense et sombre,
Les continents battus par la houle des mers ;
Au-dessus flamboyait le ciel plein d’univers ;
Mais Lui ne regardait que l’abîme de l’ombre.
Il était là, dardant ses yeux ensanglantés,
Dans ce gouffre où la vie amasse ses tempêtes,
Où le fourmillement des hommes et des bêtes
Pullule sous le vol des siècles irrités.
Il entendait monter les hosannas serviles,
Le cri des égorgeurs, les Te Deum des rois,
L’appel désespéré des nations en croix
Et des justes râlant sur le fumier des villes.
Ce lugubre concert du mal universel,
Aussi vieux que le monde et que la race humaine,
Plus fort, plus acharné, plus ardent que sa haine,
Tourbillonnait autour du sinistre Immortel.
Il remonta d’un bond vers les temps insondables
Où sa gloire allumait le céleste matin,
Et, devant la stupide horreur de son destin,
Un grand frisson courut dans ses reins formidables.
Et se tordant les bras, et crispant ses orteils,
Lui, le premier rêveur, la plus vieille victime,
Il cria par-delà l’immensité sublime
Où déferle en brûlant l’écume des soleils :
— Les monotones jours, comme une horrible pluie,
S’amassent, sans l’emplir, dans mon éternité ;
Force, orgueil, désespoir, tout n’est que vanité ;
Et la fureur me pèse, et le combat m’ennuie.
Presque autant que l’amour la haine m’a menti :
J’ai bu toute la mer des larmes infécondes.
Tombez, écrasez-moi, foudres, monceaux des mondes !
Dans le sommeil sacré que je sois englouti !
Et les lâches heureux, et les races damnées,
Par l’espace éclatant qui n’a ni fond ni bord,
Entendront une Voix disant : Satan est mort !
Et ce sera ta fin, Œuvre des six Journées !
Charles Leconte de Lisle (1818-1894)
Charles-Marie René Leconte de Lisle est un poète français.
Né à la Réunion, il vient poursuivre ses études en France. Séduit par les doctrines sociales du philosophe Fourier, il collabore aux Journaux "La Phalange" et "La Démocratie pacifique". L'échec de la Révolution de 1848 l'accable et signe sa rupture avec la politique. De sa foi sociale, il ne garde dès lors qu'une vive rancœur contre Dieu et les hommes, et il va chercher refuge dans la poésie.
Son pessimisme s'alimente à deux sources, l'une passionnelle ("Les Damnés" 1855, "Le Dernier souvenir", 1868, "Les Spectres", 1866 ), l'autre historique à travers la Grèce ("Les Poèmes antiques", 1852, "Les Poèmes Barbares", 1862).
En réaction contre la poésie romantique, Leconte de Lisle réclame une poésie "scientifique" qui doit être essentiellement l'expression de la sérénité du beau. Son âme tourmentée rend toute relative son impassibilité. Celle-ci trouve toute sa place parmi ses admirateurs réunis autour de lui dans l'école parnassienne.
Élu en 1886 membre de l'Académie française, sa célébrité, pour les nouvelles générations, éclipse même celle de Victor Hugo. En 1872, il aborda le théâtre avec une tragédie eschyléenne, "Les Erinnyes".
*Bartolomé Bermejo, de son vrai nom Bartolomé de Cárdenas est un peintre espagnol représentatif du style hispano-flamand. Formé aux Pays-Bas, il travaille dans le royaume d'Aragon puis à Barcelone, où il peint pour des commanditaires religieux.
Commentaires
1. fabienne_fafa le 10-11-2020 à 10:56:22 (site)
bonjour
bravo pour la photo du jour, passez une bonne journée.
bises.